(extrait
du livre de Marcel Burel, "Roscanvel, dans la Presqu'île de
Crozon",
et publié avec son aimable autorisation). Merci à l'auteur.
Les naufrages à Roscanvel.
Depuis un temps immémorial, les Roscanvélistes ont tiré de la mer des ressources qu'une terre ingrate leur refusait trop souvent. Spectateurs intéressés, ils ne quittaient que rarement des yeux la mer dont ils pouvaient espérer quelque aubaine inespérée. On lit dans la vie de Saint-Guénolé que des brigands roscanvélistes sévissaient au VIème siècle sur les côtes, "embusqués à l’entrée du Goulet, pillant sur terre et sur mer". Cette position privilégiée en bordure d’une voie d’eau fréquentée leur fournissait de bonnes moissons ; il est même probable que "Ces trois bons marins" n’hésitaient pas à rançonner les navires marchands. On sait comment, alertés par la rumeur publique, les quatre fils de Catmaglus, traversèrent la rade dans la noire intention de mettre à sac les greniers de l’abbaye de Landévennec; mais là, la générosité de Saint-Guénolé leur ouvrit les yeux au point de les convertir. Cet édifiant retournement n’empêcha pourtant pas cette tradition de brigandage, entretenue par de nouvelles générations et qui s’inscrit dans le toponyme de Kerlaër (le village des voleurs), de se maintenir durablement, signe évident de la place des naufrages dans le système économique local.
Les registres de L’Amirauté de Quimper indiquent qu’entre 1700 et 1800, une quarantaine de naufrages eurent lieu sur les côtes de la Presqu’île de Crozon. Trois navires le Saint-Jacques de Dieppe (20 juin 1722), le Dauphin de Saint-Yves (7juin 1736) et la Dame Digne Jeanne de Midelbourg (10 juin 1770) s’échouèrent sur les rivages roscanvélistes. Cette fréquence est d’abord liée à l’importance prise par Camaret dont le port et la rade sont une halte nécessaire pour les voiliers qui attendent le vent ou la marée favorables pour s’engager dans le Goulet ou franchir les passages dangereux du Raz de Sein et du Fromveur. Dans la baie de Camaret, escale de navires venus du monde entier, transitent des cargaisons diverses autant que riches, qui ne profitent guère aux riverains, même si Torrec de Bassemaison qui a le monopole de l’importation de la rogue et qui arme au cabotage, tire d’importants revenus de ses magasins d’avitaillement du Notic. Cette richesse passagère, multipliée par l’accroissement du tonnage des navires et qui ne favorise qu’une poignée de privilégiés, ne peut qu'attirer la convoitise des habitants de la Presqu'île. Aussi, après des années d'attente, le naufrage est-il vécu comme une redistribution providentielle, un don du Ciel qui offre à des riverains enfin chanceux une part de l’abondance journellement aperçue.
Au cours du XVIIIème siècle, les conditions de navigation demeurent précaires malgré la plus grande précision des cartes et la meilleure formation des pilotes ; les côtes de la Presqu’île sont semées de tant d’écueils et de passages dangereux que la navigation y est presque toujours périlleuse. Si le port de Camaret est apprécié pour la sûreté de son mouillage, il arrive que les navires qui n’ont pu se mettre à temps à l’abri soient drossés à la côte : c’est le sort de la BelleUrsula de 1’Ile dYeu (27 janvier 1741) sur la plage de Trez-Rouz ou de la Marie-Françoise de Quiberon (6 octobre 1789) sous les falaises de Quélern. Les navires qui quittent le mouillage de Camaret. prennent, pour embouquer le Goulet, les marques du rocher Liéval et des Capucins, mais il y a grand danger, quand l’approche est approximative, à franchir la basse Goudron et le plateau des Fillettes, où les hauts fonds augmentent la vitesse du courant. Que le vent manque ou souffle en tempête, et les navires, incapables de manoeuvrer, font côte entre les Capucins et la pointe de Cornouailles. Tel est le sort du Saint-Jacques, du Dauphin et de la Dame Digne Jeanne.
Un naufrage survenu sur les côtes est à considérer comme un événement majeur qui modifie profondément le cours de la vie locale. Quand il se produit de jour, les riverains qui se tiennent prêts ont suivi du haut des falaises les efforts désespérés du navire et de l’équipage ; parfois l’épave est découverte le matin par les coureurs de grève fort nombreux, surtout en hiver. A l’instant la nouvelle du bris se colporte des villages côtiers jusqu’au bourg et aux hameaux de la Rade, Parfois même au-delà des limites paroissiales. Un naufrage, c’est en effet l’espérance d’un gain immédiat, parfois d’une amélioration momentanée mais substantielle du niveau de vie. C’est pourquoi, quittant sur le champ les occupations du moment, tous les hommes valides se hâtent vers le lieu du naufrage et immédiatement commencent un véritable pillage du navire, tant les heures sont comptées avant intervention des représentants de l’Amirauté, venus imposer une réglementation sévère qui perturbe les habitudes ancestrales. Il est vrai que la loi ruine les espoirs de toute une population à laquelle est imposée une collaboration dont chacun espère à contrecoeur tirer avantage.
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1995, extrait du livre "Roscanvel dans la presqu'île de Crozon"
de Marcel Burel
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